La Rose Noire

Un pur moment (Nouvelle)

Elle regardait l’eau bouillonnante de la rivière faire des remous au pied de son jardin. L’air qui s’engouffrait sous sa robe lui caressait les fesses tendrement. Elle l’attendait. Il serait bientôt là et le vent irait se faire foutre. Parce que ses mains à lui, étaient bien plus douces que ça. Ses mains à lui, elle les avait juste senties une fois. Une seule fois qui n’avait duré que quelques secondes. Mais elle en gardait encore le souvenir sur sa peau.  

Elle lui avait demandé de venir. Comme ça. Elle avait osé. Elle ne comprenait pas trop ce qu’il s’était passé dans sa tête à ce moment-là. Une attirance malsaine encore une fois ? Elle avait toujours été attirée par les défoncés du cerveau ou les paumés de la vie. Par des mecs qui la faisaient mouiller rien qu’à les regarder. Putain ce qu’elle allait prendre son pied ! Elle en salivait toujours d’avance. Et après… Après c’était le néant total. La déception sidérale. Ils plantaient leurs bites en elle comme on plante une fourchette dans une montagne de purée. Un coup, deux coups, trois coups. En avant, en arrière et la purée changeait de contenant pour se retrouver au fond de sa chatte (ou de sa gorge, c’était au choix).  Avant ça il n’y avait rien. Après ça, le rien persistait. Son désir assouvi, le beau gosse se retournait de l’autre côté, allumait sa clope ou se servait un verre. Parfois même il disait :

— Alors, c’était bon ?

Et elle répondait par un sourire qu’elle aurait voulu s’arracher de la gueule. Un sourire qui laissait sous-entendre que oui, c’était vraiment bon. Elle se serait jetée par la fenêtre chaque fois qu’elle y repensait. Elle se dégoûtait tellement. Comment pouvait-elle faire croire ça ? Et simuler ? Pourquoi elle simulait ? Elle le faisait si bien qu’ils en crachaient leur semence quasiment tout de suite. Même pas le temps pour elle de sentir un petit truc qui aurait pu être bon. De toute façon, ce truc elle ne l’avait jamais senti avec personne. Même pas avec le seul homme qu’elle ait aimé vraiment.  Elle savait bien pourquoi c’était comme ça. Pourquoi elle était morte à cet endroit-là. Lorsqu’elle avait douze ans, un enfoiré lui avait volé son enfance. Il l’avait pilonnée, lui avait déchiré les chairs et labouré le ventre. Puis il avait recommencé, des centaines de fois, pendant plusieurs années. Il forçait son corps puis la cognait pour qu’elle se taise. Il ajoutait à tout ça quelques bonnes menaces bien dégueulasses. Lui racontait ce qui lui arriverait s’il lui venait à l’esprit l’idée de parler. Mais elle n’avait jamais rien dit et avait tout bien enfoui au fond de sa tête.

Peut-être que c’était pour ça finalement qu’elle n’était attirée que par les amputés du sentiment. C’est toujours plus facile d’avancer en terrain connu. Mais celui qu’elle attendait était différent cette fois. Ce n’était ni un habitué de la loose, ni un musicien prétentieux se prenant pour le roi du monde parce qu’il aligne quatre accords sur une guitare pourrie. Non, lui c’était autre chose. Un artiste certes, mais avec le talent et le cerveau en plus. Surtout le cerveau d’ailleurs, parce que le talent elle n’en savait rien. Elle l’imaginait seulement. Juste une idée qu’elle avait de lui.

Elle se disait qu’avec la matière grise qui suait de chacun de ses pores, il saurait être objectif. Mais elle se disait ça chaque fois qu’elle rencontrait quelqu’un. L’espoir c’était la seule chose qui la tenait encore en vie. Et puis il lui fallait bien un peu de rêve. Pourquoi est-ce qu’elle n’aurait pas droit elle aussi à une part de bonheur ? Elle ne pouvait s’empêcher de gamberger. C’était toujours comme ça et ça lui bouffait la vie. Peut-être qu’il fera comme tout le monde. Peut-être qu’il aura envie d’elle et puis basta. Ça ne serait pas étonnant. Ils font tous comme ça. Et ça lui tord les tripes à chaque fois parce qu’elle se demande pourquoi. Pourquoi est-ce qu’on ne l’aime pas. Ou plutôt, pourquoi est-elle incapable de se faire aimer ? Parce que c’est de sa faute si elle n’y arrive pas. C’est toujours de sa faute si les choses ne vont jamais dans le bon sens.

 

Il est là, debout à côté d’elle. Il lui sourit avec les yeux qui pénètrent les siens. On ne la regarde pas souvent comme ça. Les émotions la prennent au ventre. Elle ne sait pas si elle doit mais elle en a envie. Elle l’embrasse. Comme ça. Sans réfléchir. Elle l’embrasse et il répond à sa bouche. Il répond comme si leurs bouches se connaissaient déjà. Ils rient. La rivière chante en coulant à leurs pieds.

Plus tard, allongée tout contre lui, sa bouche ne décolle plus de la sienne. C’est bon. C’est si bon.  Il donne. Elle prend. Elle a honte de cet égoïsme soudain mais elle prend parce que c’est bon. Parce que c’est vraiment bon. Parce que ça n’a jamais été aussi bon. Elle prend, elle gémit. Il donne, elle crie. Il n’y a plus de temps. La nature est belle autour mais ils l’ont zappée. Ils ont mieux à faire dans le mélange des peaux. Et la rivière continue à chanter, mais cette fois sa voix sonne triste. Elle se sent délaissée.

Elle ne sait pas ce qu’il se passe dans sa tête à lui. Il caresse, il embrasse. Partout sur elle ses mains, sa bouche. Elle savoure. Et lui, il planque ses émotions. Est-ce qu’il en a ? se demande-t-elle en épousant son corps. Elle pose sa tête sur sa poitrine et entend son cœur s’affoler. Elle dit comme si cela l’étonnait : « Tu as le cœur qui bat ! » et ça le fait sourire. Il l’entoure de ses bras. Il la sert fort. Elle aime tellement ça. Dans sa tête à elle c’est Mururoa. Le cerveau déchiqueté qui laisse s’échapper des sensations annihilées depuis des années. Sensations qui se mettent à grouiller à l’intérieur, comme des milliers de vers gluants. Ressenti étrange.

Et son ventre qui s’ouvre une première fois au plaisir. L’étonnement d’apprécier à ce point-là ce membre qui s’enfonce en elle. Et puis ses cris qui envahissent partout la pièce, laissant la chambre dévastée. Ces cris qu’elle n’a même pas simulé.

 

Ils ont rempli chacune des secondes passées ensemble. Et voici l’heure de la séparation. Elle ne sait rien de la suite qui adviendra après ce joli moment d’évasion.  Sur le pas de sa porte, elle n’ose même pas lui demander si elle le reverra. Elle ne pose pas la question parce que la réponse lui fait peur. Elle l’a tellement souvent entendue... « Je ne sais pas. Tu sais, je ne peux rien te promettre. » C’est ce qu’ils disent tous après l’avoir mal baisée. Une réponse qui lui donne envie de gerber tellement elle pue le narcissisme. Me promettre quoi connard ?! Je te demande juste si on va se revoir ! Et pourquoi a-t-elle envie de les revoir d’ailleurs ?! Elle sait très bien que ça ne mène à rien. Mais ce putain de manque d’amour qu’elle charrie depuis sa naissance lui fait faire trop de folies. Parce qu’elle a envie qu’on l’aime. Elle veut savoir ce que ça fait. Même si ça ne dure que quelques minutes. Mais qu’on l’aime une fois. Juste une putain de fois !

Elle l’embrasse encore. Un ultime baiser volé pour garder le goût de son désir et imprégner le souvenir de ce qu’il est. Il l’accepte avec plaisir. Au fond d’elle, elle sait qu’il ne lui aurait pas donné la réponse qui fait mal. Elle a compris cette chose-là à la façon qu’il a eu de la serrer dans ses bras. Elle crève de le revoir mais elle dit seulement :

— Fais attention sur la route.

Il lui répond en souriant :

— Mais bien sûr petit ange… 

 

Alexa 2008



05/06/2009
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