La Rose Noire

No propriété (Nouvelle)

Il est assis dans l’unique fauteuil du salon et la regarde d’un air hébété. On dirait qu’il vient de se prendre un direct du gauche en pleine gueule.

— T’as fumé combien de pétards ? finit-il par lui demander d’un air narquois.

— C’est fin cette remarque ! Aucun. J’ai entièrement conscience de ce que je viens de te dire et j’assume.

— T’es complètement givrée ma pauvre fille. Et les enfants ? T’as pensé aux enfants ?

— C’est justement parce que je pense à eux que je te quitte. Ils seront bien moins perturbés sans nos engueulades à répétition et l’ambiance maudite qui règne ici.

— On est adultes, on va faire des efforts. Ça ira mieux si on fait des efforts.

— Parce que tu crois qu’un couple qui marche est basé sur des efforts ? Putain de merde Sam ! Et les choses qui coulent de source ça n’existe pas pour toi ? Et l’amour ? Hein l’amour ?! Tu sais ce que c’est toi ?

Il la regarde sans répondre. Il ne comprend pas ce qui vient de lui tomber sur le paletot. Bon, c’est vrai, ça fait des mois qu’elle ne veut plus baiser avec lui et qu’il se masturbe à côté d’elle dans le lit pour la faire réagir. Mais cette salope fait toujours semblant de dormir et c’est son slip qui reçoit la décharge. Sacrée salope ouais ! C’est sûr que faire des efforts, c’est pas son truc à elle.

— Tu vois, t’es même pas capable de répondre ! Et tu sais pourquoi ? Parce que l’amour tu ne sais pas ce que c’est !  Dix ans que je suis avec toi et tu veux que je te dise ? Tu m’as rendue heureuse la première année et puis basta !

— Tu te fous de ma gueule là ?!

— J’aimerais bien ! Non mais tu ne t’es rendu compte de rien ? Tu n’as pas compris que c’était minable nous deux ?

Il se lève pour aller se servir un grand verre de whisky et revient s’effondrer dans le fauteuil en beuglant :

— Mais qu’est-ce que tu racontes là bordel ?! Qu’est-ce que tu racontes ?!

— Seulement la vérité. Il faut te rendre à l’évidence Sam. Nous deux ça ne pouvait pas fonctionner. C’est vrai que j’ai été flattée d’être ta première fille, flattée de t’apprendre les gestes de l’amour, les bonnes caresses. Et puis t’entretenir au début, je trouvais ça mignon aussi. Tu faisais ton service militaire, tu me faisais de la peine avec ton crâne rasé et ton air triste. Je t’aurais tout donné. Et je crois bien que c’est ce que j’ai fait non ?

— Peut-être et alors ? Où tu veux en venir là ?

— Je te rappelle qu’il y a cinq minutes tu m’accusais d’être défoncée. Alors je t’explique. Et puis tu me connais, je ne peux pas te quitter sans rien dire. Je ne voudrais pas que tu refasses les mêmes erreurs.

— Mais de quoi tu parles ?!

— Tu veux vraiment le savoir ? Alors écoute bien ! Je parle de ce boulot qui fait que tu gagnes vraiment bien ta vie et que les enfants et moi on ne voit jamais la couleur d’un seul de tes euros. Je parle de la façon que tu as de fouiller tes poches quand on passe à la caisse pour finir par dire que t’as oublié ta CB et me laisser payer.  Je parle des vacances qu’on ne prend jamais et des week-ends où on dort dans la voiture parce que tu dis qu’une nuit d’hôtel c’est trop cher. Je parle du jour où tu m’as dit que les petits et moi on n’est pas ta famille parce que ta famille c’est tes parents et ta tripotée de cousins. Ce jour-là tu as même ajouté que ta famille, la vraie, passerait toujours avant nous, quoi qu’il arrive. Je parle des soirées que tu passes chez ta mère en rentrant du boulot pendant qu’on t’attend à table pour finir par se résigner à manger sans toi. Je parle des petits plats que je te mijote avec amour tous les jours et que tu manges sans jamais rien dire. Je parle de mon petit salaire qui sert à régler les dépenses du ménage, le loyer, les factures, et tout le putain de reste ! Quand j’y arrive plus et que je te demande de m’aider, je parle de la façon que tu as de me répondre : « Mais je ne peux pas t’aider, je suis à découvert ! » Et quand je te demande ce que tu peux bien faire de ton fric, tu me réponds des conneries plus grosses que moi. « L’assurance de ta voiture, ta mutuelle de cadre qui est hors de prix… » Et tu me sors toujours ces deux trucs-là ! Toujours ! Tu me prends vraiment pour la dernière des connes ! Moi aussi j’ai une voiture, une mutuelle et en plus, j’ai TOUT LE RESTE !!!

Pendant leurs dix années de vie commune, Laura s’était toujours demandé ce qu’il pouvait bien faire de son argent. Ce truc-là était vraiment un mystère.

— Ca va, t’énerves pas comme ça. On peut discuter calmement dit-il en vidant son verre cul sec.

— C’est ça, fais le malin ! Tu veux que je te rappelle ce que ton père m’a dit à la clinique pour la naissance de notre premier fils ?

— Et mon père maintenant ! Allez va-y balance ton venin et après on pourra peut-être parler de choses sérieuses !

— T’es vraiment un connard Sam ! Un grand connard !

— Bon allez ça va. Alors il a dit quoi mon père à la clinique ?

— Que si notre premier enfant avait été une fille c’est qu’elle n’aurait pas été de toi ! Putain de merde ! Au lieu de me féliciter il m’a tuée avec sa réflexion à la con !

— Mais c’était pas méchant ça ! Tu prends tout mal, c’est normal que tu ne sois bien nulle part, ni avec personne !

— Oui, c’est vrai, je prends tout mal. Comme le fait que tu as donné nos clefs d’appart à ta mère et qu’elle rentre chez nous n’importe quand et n’importe comment. Une fois je sortais de la douche à poil et je suis tombée nez à nez avec elle dans le couloir ! Elle fouille les placards, elle fait le ménage, elle range TON bordel, elle sait tout sur nous et après elle raconte à tout le monde que sa « belle-fille » ne sait pas s’occuper de sa maison et encore moins de ses enfants. Tu as raison, je prends vraiment tout mal. Comme la fois où je l’ai entendue te dire en douce qu’elle avait regardé mes relevés de comptes et que tu pouvais continuer à me laisser payer. « Garde ton argent pour une cause plus noble » qu’elle t’a dit ! Ben oui c’est vrai que tes enfants ne sont pas une cause noble puisqu’ils ne sont même pas baptisés ! Ça, vous me le  reprocherez jusqu’au bout !

— Oh ça va… Je n’ai jamais dit ça.

— Non mais ta mère s’en est chargée ! Et puis ce maudit loyer qui vide mon compte tous les mois et toi qui ne veux pas qu’on achète un appart. Au moins on saurait pourquoi on paye !

— Franchement Laura tu délires là ! D’abord la propriété c’est pas mon truc et tu le sais très bien. Et puis comment veux-tu qu’on achète un appartement ? Avec quel argent ? T’arrêtes pas de dire que tu t’en sors pas !! Et moi je suis toujours à découvert…

— T’es vraiment gonflé ! La propriété c’est encore moins mon truc que le tien et pourtant j’y pense parce que je me dis que ce serait mieux pour les enfants. Pourquoi tu ne veux pas acheter un appart avec moi ? Tes enfants ne comptent pas ? Je ne suis pas assez bien pour toi c’est ça ?

— Ecoute, on ne va pas revenir là-dessus. J’ai dis non et c’est non. Je n’ai pas d’explications à te donner. Bon alors finalement c’est seulement pour ça que tu me quittes ? Pour des histoires de fric ?

Effarée par tant de désinvolture, elle va se chercher une coupe et la bouteille d’alcool. Elle remplit leurs deux verres et enchaîne :

— Des histoires de fric ?! Ce n’est pas moi qui mets un prix sur tout et qui parle d’argent à longueur de temps. Mais il faut reconnaître que ton fric invisible plus ta mère ont bien contribué à la décision que j’ai prise. Mais il n’y a pas que ça non plus. Je ne supporte pas que tu fasses peur au petit en le secouant, en lui hurlant dessus et en l’enfermant dans sa chambre chaque fois qu’il a du mal à lire un mot. Ensuite tu le laisses pleurer trop longtemps et tu m’interdis d’aller le calmer. Tu crois que c’est avec la peur qu’il va réussir à apprendre à lire ? En fait c’est eux la véritable raison de mon départ et aussi le fait que… je ne t’aime plus !

Ces derniers mots ont pour résultat de percuter son cerveau à très grande vitesse et de le laisser groggy.

— Tu… tu… mais je t’aime moi !! hurle-t-il dans un élan de désespoir.

C’est la première fois qu’il lui dit ces mots-là.  

— C’est trop tard pour ces mots-là Sam, lui dit-elle d’un air désolé.

Il sent alors que la partie est perdue et se ressert un verre. L’alcool aidant, une bouffée d’adrénaline lui monte à la tête. 

— Espèce de salope ! Tu sais ce que tu mérites ? Tu sais ce que je vais te faire avant de me tirer d’ici ? Je vais te sodomiser à sec ! Je vais te prendre de force et je suis sûr que tu vas aimer ça parce que t’es qu’une grosse salope !

— Arrête de boire et va te coucher. Il est trois heures du matin. T’es crevé. Tu ne sais plus ce que tu dis. Allez viens, dit-elle doucement en lui attrapant le bras pour l’emmener dans la chambre.

Il se dégage prestement de l’étreinte qu’elle veut lui imposer et termine son verre d’une gorgée en la regardant haineusement au fond des yeux. Le verre vide toujours dans la main, il se met à le contempler comme si c’était la première fois qu’il voyait un tel objet. Il le tourne, le retourne, le détaille sous toutes les coutures avec un regard fou. Elle le regarde faire, étonnée, se demandant ce qu’il peut bien penser à ce moment-là.

— Allez, viens te coucher… dit-elle pour le ramener à la réalité.

Ces mots sont de trop pour lui. Elle lui demande d’aller au lit alors que ça fait des mois qu’elle lui refuse son corps ! Des mois qu’il crève d’un désir inassouvi qui suinte par le moindre de ses pores. Un éclair de folie lui traverse le cerveau de part en part. Le verre toujours dans la main, il l’écrase avec force sur son front, ce qui a pour résultat de lui entailler profondément la peau. Une giclée de sang traverse le salon et termine sa course sur le mur d’en face.

— Putain mais qu’est-ce que t’as fait ?!! hurle-t-elle avec affolement.  

Il la regarde en souriant béatement, le sang giclant toujours de son front ouvert.

 

 

Epilogue

 

Six mois après qu’il soit parti de la maison, il sonne à sa porte pour lui annoncer qu’il va tout faire pour récupérer la garde des enfants.

— Ça va marcher, lui dit-il avec arrogance, t’as plus de boulot, t’es locataire… Je gagne bien ma vie et en plus… je viens d’acheter un appartement !

Enfin, Laura peut mettre une réponse sur le mystère de son ex compagnon et son découvert qui a duré dix ans !

 

Alexa 2009



05/06/2009
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