La Rose Noire

Le conte du prince errant


Il était une fois un roi réputé pour sa sagesse et son équité, qui avait pour habitude de vivre dans un petit réduit situé tout en haut d’une tour de son château, près d’un étroit soupirail. Il délaissait ainsi jour et nuit ses vastes pièces somptueuses et confortables qu’il laissait volontiers à sa famille et à sa cour. Se faisant vieux, il demanda un jour à son fils aîné de venir auprès de lui. Avant de lui succéder, il désirait que le prince se vête en humble parmi les humbles et parte sur les routes, en quête d’une leçon de sagesse assez grande pour qu’il pût établir sur les bases de cette leçon-même sa souveraineté et guider ses futures affaires de monarque.

"Comment ? S’indigna le prince, vous m’obligez à m’abaisser, adopter les mœurs des gueux, partager le sort des va-nu-pieds, des pauvres sans éducation, des rustres, des charretiers, des minables de toutes sortes et j’en passe et des pires ! Mais puisque c’est votre volonté et que j’ai pour vous la plus haute estime ainsi que toute ma reconnaissance filiale, j’y consens. J’espère toutefois que l’expérience ne sera pas trop longue et pas trop pénible."

Le prince héritier se rendit dans la capitale, puis sur les routes du pays, cherchant auprès des uns et des autres un enseignement qui le servît plus tard dans son rôle de souverain. Le temps passait ; il aidait les paysans à récolter le foin, il secondait les colporteurs de marchandises et gagnait ainsi sa vie. Après des années vécues d’une façon aussi modeste il se dit qu’il n’avait rien appris, qu’il ne serait donc pas un bon souverain. Il retourna auprès de son père pour lui signifier son échec. Les années avaient buriné le visage du roi et affaibli son corps. Il ne faisait aucun doute que le souverain vivait là ses derniers jours. Voyant son père dans un tel état, le fils se désolait de ne pouvoir succéder à cet homme qu’il vénérait.
"J’ai fait ce que vous m’avez conseillé père. Je dois avouer que je n’ai rien appris durant tout ce temps. Je suis allé partout, dans toutes les villes et dans de nombreuses fermes. J’ai vécu avec vos sujets les plus démunis. J’ai mangé un repas par jour et j’ai dormi sur la paille. Je n’en sais pas plus qu’avant mon départ."
"Alors retire-toi fit le roi. Tu n’es pas donc pas prêt à me succéder."

Le fils salua le vieux monarque et s’apprêta à descendre l’escalier de la tour lorsqu’il eut le réflexe de faire demi-tour et revenir près du vieux roi.
"Il y a une question que je brûlais d’envie de vous poser souverain père le jour où vous m’avez envoyé sur les routes. "
"Pose ta question", fit le père.
"Pourquoi vivez-vous près de cette petite fenêtre dans ce réduit alors que vous avez des grandes pièces dans tous les étages du château qui sont éclairées par de grandes baies vitrées ?"
"Si tu m’avais alors interrogé avant ton départ sur les routes, répondit le roi, je t’aurais donné la même réponse que je vais te donner aujourd’hui. Elle ne tient qu’en quelques mots : ne juge jamais une fenêtre à son embrasure. Même un soupirail, un œil-de-bœuf ont le plus beau rôle, être un passage de lumière."
"Je crois que je suis enfin en mesure de vous succéder, répondit le prince."

François Vallet



08/02/2007
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