La Rose Noire

Le châtiment du père

   J'ai 17 ans. La journée est belle est ensoleillée. Je rentre du lycée l'esprit tranquille et serein. Envie de me poser, de mettre un peu de musique, d'écrire... Ma mère est partie vivre ailleurs. Elle a rencontré un autre cœur. Mon père calme ses angoisses chez sa maîtresse. Il vient, il repart aussitôt. Je le vois à peine. Quelques minutes par jour seulement. Il me laisse des mots dans la cuisine. « J'ai rempli le frigo, débrouille toi ». « Enlève tes poils de la baignoire. C'est insupportable ». « Je ne rentrerai pas cette semaine. Fais le ménage ». Il évite de me parler. Je sens comme une tension...
  
L'appartement est grand. Je suis seule dedans. J'erre en compagnie de mes disques, de mes livres et de mes cahiers noircis par la plume de cette salope de solitude.
   J'arrive enfin dans l'immeuble. Quinze étages en ascenseur dans une cabine surchauffée. Hâte de me poser. Les clefs dans la main, je sors sur le palier avec impatience. Mes yeux se perdent sur un amoncellement de choses. Je reste clouée. Pétrifiée.
   Mes affaires ! Tout ce qui m'appartient est là, entassé devant la porte de l'appartement. Etonnement, questionnement. Cambriolage ? Je m'avance. La porte est bien fermée. J'engage la clef dans la serrure. Blocage. Elle ne tourne pas. Elle est coincée. De la musique vient de l'intérieur. Ouf ! Mon père est là. Il va pouvoir m'ouvrir. Je sonne. Personne ne répond.             
  
- Merde ! Il n'entend rien avec sa musique !
   Je sonne encore. Plus longuement. Plus fort. Des pas s'approchent, s'arrêtent derrière la porte. Un regard me scrute à travers le judas. Le temps me semble long. La porte ne s'ouvre pas. Mon cœur bat la chamade. Mais qu'est-ce qu'il se passe enfin ?!
   - Papa, je ne peux pas rentrer. La serrure est coincée. Ouvre-moi !
   Un temps de silence. Un soupir derrière la porte puis des mots. Cinglants.
   - C'est normal. J'ai fait changer la serrure ! Je ne veux plus te voir chez moi. Prends tes affaires et tire-toi !
   - Mais papa…. Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu fais ça ?
   Un nouveau silence et puis…
   - Tu ressembles trop à ta mère. Je ne peux plus voir ton visage en peinture ! Quand je te regarde, j'ai envie de te baffer ! J'ai sorti toutes tes affaires, c'est déjà pas mal non ? Débarrasse le palier avant que les voisins se plaignent au gardien et tire-toi maintenant !
   Consternation.  Désolation. Même mes larmes n'en reviennent pas. Je l'entends s'éloigner puis la musique se faire assourdissante. Il a monté le son au maximum. Le dialogue est terminé. Il ne veut plus rien entendre. Je reste là, désemparée. Il n'a même pas ouvert la porte. Il ne m'a même pas regardée. Que suis-je ? Que faire ? Où aller ?

   J'ai appelé mon amie, la seule. On a entassé mes affaires dans sa voiture et puis je suis partie cracher ma détresse dans les rues. Je lui ai assuré que je partais chez ma mère. Trop honte. Et puis aucune envie d'arriver chez elle et devoir expliquer à ses parents que les miens étaient différents. J'ai dormi dans le métro plusieurs nuits. J'ai continué à aller au lycée. C'était l'année du Bac. Je voulais le passer. Peut-être même l'avoir. Un copain s'est demandé pourquoi j'étais sale et pourquoi j'avais faim. Il m'a suivie. J'ai du lui raconter. Ses parents m'ont hébergée. Ils m'ont repêchée. Je n'ai plus revu mon père durant plusieurs années après ce fameux jour. Il m'a écrit bien plus tard qu'il avait fait ça pour se venger de ma mère. 
   Merci papa, j'ai cru un moment que c'était à moi que tu en voulais !
   N'empêche que cette année-là, j'ai raté mon Bac !



17/09/2005
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