La Rose Noire

L'art de la gentillesse

Dans l'esprit des gens, la gentillesse est une niaiserie. Ma grand-mère me répétait souvent d'être moins gentille. « Trop bon, trop con » disait-elle. Il faut dire que sa générosité débordante lui avait causé bien des soucis. Des faux amis, des gens qui profitaient d'elle, elle en avait à la pelle. Mais c'était plus fort qu'elle, elle ne pouvait s'empêcher d'être ce qu'elle était : une femme avec un cœur gros comme ça. Elle essayait cependant de me mettre en garde, de m'éviter de devenir comme elle : quelqu'un qu'on ne respecte plus. J'ai longtemps pensé qu'elle se trompait. Je ne comprenais pas pourquoi la gentillesse pouvait être un défaut, ni pourquoi on l'a considérait comme la preuve d'une bêtise prononcée. Je la voyais plutôt comme un acte sain et naturel. Comme un gage de paix et d'harmonie. J'ai compris au fil des années, et lors de chacune de mes rencontres, que son conseil censé était loin d'être égoïste. Il est vrai qu'à trop vouloir en faire pour les autres, on s'oublie soi-même. C'est en tout cas la faiblesse de certains gentils et cela a été la mienne. Après bien des déboires, des services rendus et non retournés, de l'argent prêté et jamais redonné, j'ai enfin compris que la gentillesse ne m'obligeait pas à me couper de moi. La vraie bienveillance doit nourrir et équilibrer mais elle ne peut se réaliser que si elle fonctionne a double sens : envers l'autre et envers soi. Dans le cas du sens unique, la bienveillance envers autrui devient malveillance envers soi-même. Se maltraiter de la sorte, entraîne irrémédiablement les autres à agir de même. Au lieu de rendre la gentillesse donnée, ils n'expriment rien, si ce n'est un profond mépris. Bien qu'ayant compris le schéma, j'ai énormément de mal à l'accepter. Pourquoi forcément se montrer méchant face à quelqu'un qui donne en s'oubliant ? Pourquoi l'autre ne pourrait-il pas, l'espace d'un instant, s'oublier aussi et offrir un sourire, un geste tendre ou un remerciement ? Pourquoi cet individualisme forcené qui pousse à prendre sans jamais rendre ? Je dis non ! Je refuse ce schéma idiot et égoïste. Il ne faut tout de même pas oublier que sans entraide et solidarité, nous n'aurions jamais pu évoluer.
Avec l'esprit idéaliste qui me caractérise, je rêve d'une gentillesse réhabilitée. Arrêtez donc de passer à côté de vous-mêmes et à côté des autres ! J'aimerais qu'un jour, les hommes et les femmes se rassemblent dans un même élan pour combattre les ennemis qui rendent ce monde invivable : l'égoïsme, l'indifférence, le mépris, la faim, la misère, l'hypocrisie, la méchanceté… Utopie réalisable, car si chacun y mettait du sien et corrigeait ses défauts, le monde serait bien meilleur. Pourquoi ne ferions-nous pas, chaque jour, un acte gratuit et purement gentil ? Un petit acte tout simple, qui non seulement ne coûterait rien, mais qui en plus ferait du bien à tout le monde. Faire du bien à l'autre, c'est, par résonance, faire du bien à soi-même, alors pourquoi s'en priver ? La bienveillance fait partie de chacun de nous. Nous sommes nés avec. Lorsqu'un bébé pleure dans une maternité, les autres le suivent, non pas parce que le bruit les dérange mais par solidarité. A l'âge adulte, on oublie vite cet élan et c'est bien malheureux. Il faudrait donc pouvoir revenir aux sources et s'en imprégner à nouveau. Faire un acte gentil, ce n'est pas compliqué : aider un malvoyant à traverser la rue, porter les courses d'une personne âgée, prendre l'adresse d'une personne au hasard dans l'annuaire et lui envoyer une carte postale pour lui souhaiter une bonne journée, sourire aux gens dans la rue, donner un morceau de gâteau fait maison à un SDF… L'imagination est libre et vous trouverez certainement plein de choses sympathiques à faire qui vous coûteront bien peu en comparaison du bien-être que vous allez recevoir. Ou bien alors faire comme ce petit garçon dans le film Un monde meilleur 1. Son instituteur 2 lui donne comme sujet de devoir de réfléchir à un acte réalisable qui permettrait de rendre le monde meilleur. Le petit garçon trouve une idée tellement jolie qu'un journaliste vient l'interviewer pour un reportage télévisé. Son acte pour changer le monde est d'aider trois personnes qui devront chacune passer le relais et en aider trois autres, et ainsi de suite. Une vraie pyramide de la gentillesse !  Une idée formidable et facile à mettre en pratique. Alors pourquoi ne pas tenter l'expérience ? Celle-ci existe déjà dans une vingtaine de pays. C'est un mouvement créé en 2000 à Singapour, le World Kindness Movement (Mouvement Mondial pour la Bienveillance). C'est un organisme international laïque qui fédère les bonnes initiatives individuelles et collectives en proposant à chacun d'agir en choisissant des gestes à sa portée, car tout le monde est capable de faire quelque chose. Les membres de cette association racontent leurs gestes d'amour sur un site Internet 3 , fournissant ainsi une source intarissable de bonnes idées pour rendre le monde plus gentil. Malheureusement pour nous, il n'y a encore rien de répertorié en France dans cette chaîne mondiale de la générosité… Il est donc grand temps de nous y mettre, car c'est tout de même un peu la honte, vous ne trouvez pas ?

 

Alexa 2007 - Texte tiré du roman que je suis en train d'écrire et qui s'intitule "Je ne suis pas d'ici".


[1] De Mimi Leder (2001)

[2] Kevin Spacey

 



31/08/2007
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